Concept parfois mal compris et donc mal utilisé, la neutralité carbone ne représente ni plus ni moins que l’objectif que s’est fixée la grande majorité des pays pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C et continuer à habiter une planète vivable. Bien que les entreprises ne puissent directement revendiquer leur neutralité, elles ont cependant la possibilité de contribuer grandement à cet effort grâce à la démarche tripartite Évaluer, Réduire, Compenser. Un effort absolument nécessaire et un apport essentiel à l’atteinte du net zéro au regard de l’impact des structures privées sur le climat. 

Les Accords de Paris, ratifiés par 194 pays lors de la COP 21, ont inscrit la neutralité carbone comme l’objectif à atteindre pour espérer limiter la hausse des températures « nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels »1. Les États membres, dont la France fait bien sûr partie, ont ainsi mis en place des plans de route afin de planifier leur politique climatique, respecter leurs engagements et participer à cet effort à hauteur de leurs moyens respectifs. La contribution déterminée au niveau national de l’Hexagone, désignée comme la Stratégie Nationale Bas Carbone par le gouvernement français, a premièrement visé une réduction de 75% des émissions nationales d’ici à 2050 avant de rehausser ses ambitions. L’objectif présent amène la France à engager une transition vers le net zéro et à parvenir à achever cette transition d’ici le milieu du siècle.

Clarifications conceptuelles : bien comprendre la neutralité carbone

L’effet de serre étant un phénomène impliquant plusieurs gaz, la dénomination de « neutralité carbone » peut être considérée comme abusive ou tout du moins incomplète. La priorité donnée au dioxyde de carbone vient du fait qu’il reste le gaz responsable à 65% du réchauffement du climat2. Il s’agit donc en réalité moins d’équilibrer les niveaux de dioxyde de carbone seuls que les niveaux de l’ensemble des gaz à effet de serre ou GES, à savoir le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4), l’ozone (O3), le protoxyde d’azote (N2O), l’hexafluorure de souffre (SF6) et les halocarbures HFC et PFC.

La neutralité carbone est définie selon le glossaire du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ou GIEC comme la « situation dans laquelle les émissions anthropiques nettes de CO2 sont compensées à l’échelle de la planète par les éliminations anthropiques de CO2 au cours d’une période donnée »3. Concrètement, elle correspond aux efforts cumulés des États afin de compenser l’accroissement de l’effet de serre causé par l’ensemble des activités humaines depuis la révolution industrielle. Quid alors des entreprises ? D’après Carbone 4, cabinet de conseil de référence sur les enjeux énergie et climat (résument la position de l’ADEME sur le sujet), les acteurs économiques privés et publics ne peuvent revendiquer une neutralité carbone de leur activité, et ce pour plusieurs raisons4. Premièrement, d‘un point de vue strictement sémantique, la définition du GIEC présente la neutralité du point de vue de la planète, comme un but holistique et collectif. L’exception qui consiste à prendre en compte les ambitions des pays se justifie de par sa pertinence. Il est en effet suffisamment ambitieux, significatif et même nécessaire pour l’atteinte de la neutralité que les États se posent la question de l’équilibre entre leurs capacités d’absorption d’émission et leur empreinte carbone actuelle. De plus, d’un point de vue géopolitique et dans un souci d’esprit de gestion, de collaboration et de responsabilisation de l’entièreté des pays, la prise de mesures au niveau national représente une nécessité logistique.

Pourquoi les entreprises ne participent pas, avec les territoires et organisations infranationales, de cette exception ? Pourquoi ne sont-elles pas légitimes à revendiquer elles aussi l’idée de neutralité carbone ? La réponse de l’ADEME est multiple. L’une des raisons évoquées est celle du périmètre de calcul. Lorsqu’une entreprise décide de réaliser son propre bilan carbone, elle se doit de prendre en compte ses émissions directes, mais également ses émissions indirectes, situées en aval et en amont de son activité et correspondant au scope 3. De cette manière, elle est certaine de ne pas négliger un poste d’émission potentiellement important sur sa chaîne de valeur. Or, le scope 3 d’une entreprise peut également constituer le scope 1 d’une autre : prenons l’exemple du cas d’un fournisseur de matières premières. Les rejets de CO2 qui correspondent au transport des marchandises rentrent à la fois dans le scope 3 de la première entreprise (émissions provoquées en amont) et dans le scope 1 du fournisseur (émissions directes correspondant à la combustion de carburant des véhicules détenus par le fournisseur). La confusion qui amène à considérer les mêmes émissions dans deux bilans carbone différents a pour conséquence de surévaluer les besoins en puits de carbone pour compenser ces émissions. À l’inverse, ne considérer que les deux premiers périmètres de calcul sous-évalue ces mêmes besoins. Au delà de ce problème arithmétique, se pose également la question de l’équité. De la même manière que tous les territoires régionaux et départementaux n’ont pas à être neutres en carbone pour atteindre cette dernière à un niveau national, toutes les entreprises n’ont pas à l’être non plus. Certaines structures, en raison de particularités géographiques ou sectorielles, continueront d’émettre plus qu’elles ne réduisent et compensent tandis que d’autres atteindront sans problème le net zéro voire un bilan carbone négatif. En bref, apposer la notion de neutralité carbone à une démarche, même féconde, amorcée par une entreprise contrevient à la définition scientifique de base du terme et engendre plusieurs problèmes d’ordres divers (cf l’article de Carbone 4 pour plus de détails).

Cela signifie-t-il pour autant que les entreprises n’ont aucun rôle à jouer dans l’effort national de neutralité carbone ? Absolument pas. Considérer que des grands groupes fortement émetteurs de gaz à effet de serre comme Total Énergies ou Airbus ne devraient pas s’engager relève du non-sens. Les entreprises sont invitées, bien qu’elles ne puissent pas théoriquement être neutres en carbone, à contribuer à cette ambition de neutralité. L’ADEME insiste ainsi sur la nécessité pour les structures privées de réfléchir aux leviers qui sont les leurs, aux moyens dont elles disposent pour évaluer leur marge de manœuvre maximale et mettre en place des solutions à la hauteur du défi climatique.

Pourquoi ce processus représente-il une priorité absolue aujourd’hui ? 

Le phénomène de réchauffement de la planète a été investigué et prouvé par de nombreuses instances scientifiques. Selon l’Organisation Météorologique Mondiale, la température moyenne à la surface de la Terre a augmenté de 1,1°C sur les 150 dernières années. Or sur la même période, les sociétés humaines et en particulier le secteur du travail ont connu un grand bouleversent avec le boom de l’industrie, premièrement en Europe puis ailleurs dans le monde. La révolution technique, l’apparition et l’utilisation massive de machines plus performantes ont fait augmenter les moyens de production et le recours aux énergies fossiles. C’est en grande partie la combustion de ces dernières qui a et qui continue de rejeter de grandes quantités de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, alimentant le phénomène d’effet de serre.

Le lien évident entre les activités humaines et le réchauffement climatique ne tient aujourd’hui plus de la simple corrélation mais fait consensus au sein de la communauté scientifique. Le GIEC a récemment publié le deuxième volet de son sixième rapport qui atteste de la dangerosité de l’augmentation des températures5. Multiplication de la fréquence et de l’intensité des vagues de chaleur mortelle, incidence sur le cycle de l’eau provoquant des inondations, conséquences néfastes sur la biodiversité, les raisons pour faire barrage et lutter contre le réchauffement planétaire sont légion. L’atteinte d’un équilibre entre les quantités de gaz à effet de serre émises et les quantités de gaz à effet de serre captées constitue donc une nécessité absolue pour tenter d’endiguer les phénomènes précédemment cités.

Comment contribuer à la neutralité carbone en tant qu’entreprise ?

La contribution à la neutralité carbone pour une entreprise se décompose en trois étapes clés : ÉvaluerRéduireCompenser. Cette maxime tripartite représente le socle nécessaire à la construction d’une démarche consciencieuse et efficace. Les phases fonctionnent ainsi dans une relation d’interdépendance, chacune essentielle à la réussite d’un projet climatique et environnemental ambitieux. Pas de réduction sans évaluation, et pas de compensation sans réduction.

Évaluer

Réduire ses émissions suppose tout d’abord de les estimer, de les quantifier. L’étape d’évaluation consiste donc à trouver, idéalement sur l’ensemble de la chaîne de valeur d’une entreprise, l’entièreté des activités et processus qui rejettent des gaz à effet de serre. L’évaluation des postes d’émission et la comptabilité des rejets se traduit en une expression : le bilan carbone. Le site de l’ADEME précise ainsi que l’empreinte carbone d’une entreprise se divise en trois parties appelés scopes, elles-mêmes subdivisées en postes d’émission6.

*La division en périmètres de calcul est commune aux grandes méthodologies de mesure des émissions : le Bilan Carbone, le GHG Protocol et l’ISO 14064. Pour obtenir plus d’informations sur les avantages et les défauts de chacune de ces méthodes, consultez l’article Comment réaliser mon bilan carbone ?  

Le scope 1 correspond ainsi aux émissions directes de l’entreprise telles que les sources fixes et mobiles de combustion. Le scope 2 correspond aux émissions indirectes en rapport avec l’énergie, comme les rejets de GES générés par la production d’électricité utilisée par les locaux de l’entreprise. Le scope 3 correspond aux émissions indirectes situées en amont et en aval de la chaîne de production de la structure. On y retrouve par exemple le transport de marchandises ainsi que l’achat de produits et de services. Ce dernier périmètre ne doit en aucun cas être omis puisqu’il représente généralement 70% des émissions chez les industriels et 80% des émissions des entreprises dans le secteur des biens de consommation. Pour le constructeur automobile français Renault, ce chiffre monte même à 99%7. Pour en apprendre plus sur les étapes du bilan carbone, consultez l’article Qu’est-ce qu’un Bilan Carbone ? 

Réduire 

La réduction représente très certainement le point d’étape le plus crucial de la démarche de contribution à la neutralité carbone, mais il est aussi de manière contradictoire celui sur lequel les entreprises s’attardent souvent le moins. Réduire ses émissions au maximum possède le premier avantage de rejeter de manière immédiate moins de quantité de GES dans l’atmosphère. À l’instar de l’énergie, le meilleur carbone est celui que l’on ne rejette pas. La compensation, bien qu’elle constitue une étape nécessaire puisque toute activité, aussi propre soit-elle pour le climat et l’environnement, continuera de rejeter une quantité non-négligeable de gaz à effet de serre, ne doit pas être placée sur le même plan que la réduction. Mieux vaut une émission évitée qu’une émission compensée. Le décalage temporel entre les émissions et la compensation de ces émissions reste en effet trop important pour que ce procédé soit adopté de manière prioritaire et surtout solitaire. Le réchauffement climatique et ses effets délétères sur l’environnement et les sociétés humaines sont déjà prégnants, et appellent donc à une solution urgente, donc principalement suppressive.

Même si les solutions à mettre en place peuvent varier en fonction de la taille, du type de structure et du secteur d’activité, certaines améliorations et ajustements restent communs à toutes les entreprises. Réduire les besoins en énergie et optimiser l’efficacité des sources, choisir un fournisseur d’énergie verte, isoler les bâtiments afin qu’ils soient moins énergivores, limiter les modes de déplacement fortement émetteurs ou encore travailler avec des partenaires à la politique RSE développée. Comme déjà évoqué précédemment, les étapes de la démarche de contribution à la neutralité carbone se complètent. Ainsi, les efforts lors de la phase de réduction des émissions devront correspondre aux résultats obtenus lors de l’étape d’évaluation et concerner en priorité les postes les plus émetteurs. Plusieurs outils méthodologiques ont été spécialement créés pour épauler les entreprises et les guider dans leur démarche. Le CDP ou Carbon Disclosure Project  permet par exemple d’assurer la pérennité du plan d’actions et d’informer les investisseurs de la structure. Le SBT ou Science Based Targets assure quant à lui la comptabilité des objectifs de l’entreprise avec un monde bas carbone (en se basant sur les Accords de Paris). Enfin l’ACT ou Assessing low Carbon Transition, tout nouvel outil développé par l’ADEME et le CDP, permet d’évaluer la stratégie bas carbone d’une entreprise et d’attirer les investisseurs

Compenser

Compenser les émissions incompressibles de la production d’une entreprise reste une nécessité et constitue ainsi la troisième et dernière étape d’une démarche de contribution à la neutralité carbone. Toute la complexité de la phase de compensation réside dans le fait de trouver un éco-projet fiable qui saura être bénéfique à la fois au porteur de projet et au prestataire, et qui amènera à la création de crédits carbone certifiés. Compenser ses émissions revient à réduire son empreinte carbone, en évitant ou en séquestrant une quantité de dioxyde de carbone grâce à divers moyens, extérieurs à l’entreprise. Ce procédé, lorsqu’il obtient une certification, preuve qu’il a effectivement permis de soustraire des tonnes de CO2 de l’atmosphère, donne lieu à la génération de crédits carbone, que l’entreprise qui a financé le projet peut revendiquer et utiliser pour compenser ses propres émissions. Un crédit carbone est ainsi égal à une tonne de GES.

Plusieurs types de projets peuvent être mis en place pour séquestrer du gaz carbonique. Le plus courant reste l’utilisation et le développement de puits de carbone naturels, qu’ils soient sylvestres, terrestres ou marins. La plantation de végétaux, par la reforestation ou la constitution de haies bocagères, permet de recréer un écosystème bénéfique à toutes les espèces lorsqu’elle est bien exécutée. En matière de reboisement, la monoculture reste à éviter et doit être substituée par des procédés plus adaptés comme la méthodologie Miyawaki. La mer et les sols constituent quant à eux des puits de carbone performants, à même de capter et d’emprisonner de grandes quantités de gaz à effet de serre. D’autres puits de carbone, artificiels, commencent également à voir le jour via l’émergence de la filière CCUS (Carbon Capture, Utilization and Storage en anglais). Le projet d’usine de captation de CO2 de la société Climeworks en Islande ou le project Vesta et son utilisation de l’olivine en milieu marin constituent deux bons exemples de technologies novatrices, qui sont encore à un stade embryonnaire.

Éviter une émission de CO2 peut se traduire par le remplacement ou l’optimisation d’un procédé fortement polluant, le plus souvent dans un pays en développement. La diversité des projets dans ce domaine offre aux entreprises un large éventail pour passer à l’action. Du financement de cuiseurs solaires, à la construction d’éoliennes et autres systèmes énergétiques plus vert, en passant par la livraison de poêles améliorées, les idées ne manquent pas. L’enjeu consiste aujourd’hui à s’assurer de la fiabilité des projets et de leur réelle capacité à venir en aide aux populations locales.

Bien qu’elle soit a priori appréhendée comme une problématique interétatique et politique, l’atteinte de la neutralité carbone ne pourra donc pas faire l’économie de l’implication écologique du secteur privé. Le rôle joué en particulier par les TPE et PME ne saurait être minimisé puisque c’est généralement de ces dernières qu’émergent les solutions les plus avant-gardistes. Les entreprises, quelle que soit leur taille, vont devoir s’inscrire dans ce changement des mentalités.

Sources :