Les jurés du Goncourt ont sonné l'heure de la rentrée littéraire, en révélant avant-hier les romans en lice pour ce prestigieux prix. 15 romans ont été retenus sur les 109 480 titres que produit chaque année l’industrie du livre en France. D’après le Shift Project, un ouvrage littéraire vendu en librairie aurait une empreinte carbone avoisinant les 2kg. Avec un chiffre d’affaires de 3 milliards d’euros, le secteur national de l’édition représente le troisième plus gros domaine culturel en France. De quelles manières cette filière peut réduire ses émissions de gaz à effet de serre ? Quels sont les leviers de compensation carbone utilisés ? Comment concilier bibliodiversité et biodiversité ? Capitaine Carbone s’est mis à la page.
En 2015, le bilan carbone annuel du groupe Hachette, plus grande maison française d’édition, s’élevait à 169 mille tonnes d’éqCO2, l’équivalent du bilan carbone annuel de 16 900 Français. En s’intéressant uniquement aux biens culturels produits par cette industrie, un livre pourrait émettre en moyenne sur le sol national 1,814 kg de gaz à effet de serre (GES).1 Son bilan carbone dépend cependant de nombreux critères : de quelle manière est acheminé le bois, quel est le type de pâte à papier utilisée ou encore avec quelle énergie est produit ledit ouvrage ?
Il est important de souligner que la matière première, à savoir ici le papier, représente plus de 20% des émissions de GES lors de la conception d’un livre. Selon une enquête menée par le Syndicat National de l’Edition en 2018, les éditeurs interrogés ont consommé 188 092 tonnes de papier, l’équivalent de 3,2 millions d’arbres. Pour autant, les maisons d’édition et papeteries ne sont pas la cause de déforestation massive. La consommation de papier à destination de l’industrie de l’édition représente 6,3% de la consommation totale de papier graphique en France.2
Les différents leviers de réduction
Dans son Plan de Transformation de l’Économie Française (PTEF), le Shift Project estime qu’il faut réduire de 36% les émissions nationales d’éqCO2 liées au cycle de vie d’un livre d’ici à 2050. Pour cela, plusieurs axes de transformation du secteur peuvent contribuer à réduire ces émissions.
Le choix du papier
Il est primordial de bien choisir la matière première de son livre en fonction de ses besoins. Qu’il s’agisse de son grammage, de son format, ou encore de sa qualité, le choix des caractéristiques techniques du papier représente un point d’économie important dans l’empreinte carbone globale.
Des labels indépendants existent également. Ils permettent d’identifier les forêts gérées durablement et de faire avancer l’industrie du livre au-delà des démarches écologiques en se préoccupant de la biodiversité certes, mais également de la vie économique et locale. Parmi ces labels figurent le Forest Stewardship Council (FSC) et le Programme Européen des Forêts Certifiées (PEFC), deux certifications européennes qui font la promotion d’une gestion durable des forêts.
Relocaliser la production
Un second levier de réduction tout aussi important, consiste à relocaliser la production d’un livre. Diminuer la distance représente un véritable enjeu pour l’industrie du livre surtout lorsqu’on sait que 10% seulement des livres sont imprimés en France, sur de la pâte à papier française issue de forêts françaises.3 Dans cette filière, relocaliser la production consiste à relocaliser la fabrication de pâte à papier et le mode d’impression. Il est nécessaire que le secteur puisse adapter sa stratégie de production au travers de flux sur de plus courtes distances. En fonction des choix de l’éditeur, le Shift Project estime que la distance parcourue lors des différentes étapes de cycle de vie du livre peut être divisée par 20.
Changer de modèle économique
En moyenne chaque année, 20% des livres présents sur le marché national sont repris par les distributeurs. C’est le taux de retour.4 Parmi eux, près de la moitié rejoignent de nouveau le circuit. Le pilon quant à lui est désigné par le SNE comme la destruction totale ou partielle des exemplaires d’un ouvrage. Il est réalisé à la demande de l’éditeur et assorti d’un certificat. Le Syndicat National de l’Édition estime d’ailleurs que la totalité des ouvrages pilonnés sont recyclés. Ce qui voudrait dire que 100% des livres pilonés repartent en pâte à papier destinée à une réimpression. De son côté la WWF, juge cette estimation « très optimiste ». Dans son rapport « Vers une économie plus circulaire dans le livre », l’ONG internationale décrit le modèle économique du livre comme linéairement tronqué et pose l’hypothèse d’un nouveau modèle basé sur le principe d’économie circulaire.5
Ainsi, la part de papier non recyclé après le tri du pilon pourrait atteindre, au mieux, 10 %. Au total, de nombreux entretiens ont permis à l’ONG de déterminer que « 30 % à 70 % des livres collectés et recyclés pourraient servir à refaire du papier graphique. Le reste servirait à la fabrication de carton ondulé, carton plat, papier hygiénique, essuie-tout ou encore des boites à chaussures. »
Même si 100% des livres mis au pilon sont recyclés, cette opération de revalorisation du papier n’est pas sans conséquences pour l’environnement. En effet, recycler un livre est très énergivore et demande l’utilisation de beaucoup d’eau et de nombreux produits chimiques comme le peroxyde d’hydrogène ou le carbonate de calcium. Par ailleurs, le papier peut-être recyclé 6 à 7 fois au maximum. Au-delà, la fibre est cassée et inutilisable. Il est donc nécessaire pour les éditeurs de toujours s’efforcer à baisser le nombre de livres mis au pilon.
Pour cela, les éditeurs ont à leur disposition deux leviers complémentaires. Le premier est de travailler le plus possible en synergie avec les acteurs de la chaîne de valeur comme les imprimeurs, diffuseurs, et distributeurs. Le second consiste à anticiper au mieux les besoins des lecteurs.
Adapter la production au juste besoin revient à accroître le nombre de flux et donc à augmenter la part du transport dans l’empreinte carbone d’un livre.
Développer les filières de mutualisation des livres
Du côté des consommateurs, la question autour du besoin de posséder un livre physiquement au point de ne plus vouloir s’en séparer se pose. Pourquoi ne pas opter pour un emprunt, une location et à contrario, pourquoi ne pas revendre des ouvrages afin de leur donner une seconde vie ? À l’instar de Book Village ou Recyclivre, ces applications de vente, prêt et location de livre d’occasion, il est possible de lutter contre le taux de pilons en devenant consomm’acteur d’une économie circulaire.
Une partie des bonnes pratiques citées, sont à retrouver dans la charte environnementale de l’édition de livres.
De l’édition à la compensation
À ce jour, de fortes lacunes de chiffres empêchent de percevoir les efforts réalisés par les acteurs de la filière en matière de compensation carbone volontaire. Toutefois, certaines entreprises communiquent sur leurs actions. C’est le cas par exemple de l’imprimerie annemassiennes Villière, qui, pour compenser ses émissions précédemment déterminées à l’aide d’un bilan carbone, apporte son soutien à l’association Matéri Pays de Loire présente en Afrique-Occidentale dans le nord-ouest du Bénin. Concrètement, le programme vise à installer 1000 cuiseurs à bois économes (CBE) dans la région de l’Atakora. D’après l’imprimerie, les 14 000€ reversés à l’association ont permit d’installer en un an 100 cuiseurs compensant 700 tonnes de CO2 équivalent. Au total, 6000 tonnes de GES pourront être compensées dans la durée de vie des 100 cuiseurs.6
Certains éditeurs aussi se mettent à la page de la compensation. Depuis sa création, IGB Edition annonce vouloir planter 1 arbre toutes les 16 000 feuilles A5 imprimées, l’équivalent de 10 arbres plantés pour l’édition de 500 exemplaires d’un livre de 200 pages.7
Menée en collaboration avec l’entreprise Reforest’Action, cette opération vise à planter des arbres dans la forêt de Piura au nord du Pérou et contribuera aussi à l’apport d’une source de revenus complémentaires aux habitants de la région.
La prise de conscience des éditeurs français face aux conséquences dues au réchauffement climatique est certaine. Le secteur entame depuis quelques années une réduction globale de son empreinte environnementale, de la consommation en papier à la distribution des livres. La majorité des actions de compensation carbone interviennent au sein même de la chaîne de valeur du produit. Reforestation, financement participatif, au final, ces projets « d’insetting » participent au développement d’une prise de conscience. En parallèle, certains acteurs de cette même filière compensent leurs émissions incompressibles au travers de projets sociaux écologiques leur certifiant avoir contribuer au bien de tous. Parce qu’il n’existe pas de livre neutre en carbone ou « zero-pollution » le secteur de l’édition s’efforce d’aller vers une production d’ouvrages plus éco-responsables au service d’une bibliodiversité grandissante.
Sources