En août dernier, le GIEC a tiré la sonnette d’alarme en publiant les premières données de son sixième rapport sur l’état du climat. Si les États ne réagissent pas dès maintenant, le réchauffement climatique pourrait atteindre les 2,7°C à l’horizon 2050. La COP26 représente donc la dernière opportunité pour les grands acteurs mondiaux de trouver des solutions destinées à réduire nos émissions de gaz à effet de serre. L’enjeu de la contribution à la neutralité carbone passera alors notamment par l’implication du secteur privé.
La 26ème édition de la « Conference of the Parties » (COP) se tient en ce moment-même à Glasgow en Écosse. Considéré comme la dernière chance de respecter les objectifs fixés par l’Accord de Paris, cet événement réunit les États signataires de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques mais également les acteurs privés. Amenées à jouer un rôle déterminant dans la lutte contre le réchauffement de la planète, les entreprises auront l’opportunité lors de ce sommet de justifier leur engagement en présentant des projets bas carbone. La réflexion autour de la contribution à la neutralité carbone, au delà des accords politiques et diplomatiques tant attendus, représentera sans aucun doute l’un des enjeux cruciaux de cette COP26. La nouvelle conférence sur le changement climatique s’inscrit ainsi dans un contexte particulier qu’il convient de rappeler, un contexte marqué par la publication des premières contributions du prochain rapport du GIEC (le sixième depuis 1990).
Que nous apprend le dernier rapport du GIEC ?
D’après les premiers travaux constitutifs du rapport n°6 du GIEC, la température mondiale devrait augmenter de 1,5°C d’ici 2030. Alors que le monde est en proie ces derniers mois à une vague importante de catastrophes naturelles (inondations en Allemagne et en Belgique, incendies en Europe et dans le nord de l’Afrique), le groupe d’experts climat de l’ONU confirme le lien entre ces événements exceptionnels et le réchauffement d’origine anthropique de la planète. Grâce aux avancées de la « science de l’attribution », les scientifiques ont ainsi pu démontrer que le changement climatique a rendu 150 fois plus susceptible de se produire la canicule qui a frappé le Canada à l’été 2021. Parmi les autres conjectures inquiétantes faites par le rapport ; la montée du niveau des océans qui devrait atteindre un mètre d’ici 2100, ou encore le probable effondrement des calottes glaciaires, un événement identifié comme un réel « point de rupture »1. Cet énième avertissement sur l’état délétère du climat a suscité de nombreuses réactions. Parmi elles, celles des associations écologistes :
« L’été a été marqué par des catastrophes climatiques à répétition et, dans un cruel parallèle, par la sortie d’un nouveau rapport alarmant du GIEC. Alors que le temps nous fait défaut, les retards s’accumulent dans la mise en œuvre de l’Accord de Paris », rappelle Greenpeace2. L’organisation évoque notamment le rôle de premier plan que doit jouer la France dans l’engagement climatique : « La France a une responsabilité historique : c’est sous sa présidence, lors de la COP21, qu’a été conclu l’Accord de Paris. Elle en est théoriquement la garante ». Et Greenpeace d’ajouter que « la France réduit ses émissions nettement moins vite que la moyenne européenne et ne tient toujours pas ses objectifs nationaux. On ne peut pas être crédible au niveau international quand on ne fait pas sa part au niveau national ». Deuxième pays européen le plus pollueur, l’Hexagone a effectivement fait baisser ses émissions de gaz à effet de serre de seulement 1% depuis 2015, soit sept fois moins que l’objectif fixé par l’Accord de Paris. Le WWF exhorte de son côté les décisionnaires politiques et les populations à fournir « des efforts colossaux et urgents »3. Pour Stephen Cornelius, Chief Advisor sur les questions du changement climatique pour le Fonds mondial pour la nature « Il est clair que le maintien du réchauffement de la planète à 1,5°C est un énorme défi et qu’il ne pourra être relevé que si des mesures urgentes sont prises au niveau mondial ». Ces associations comptent donc sur la COP26 pour voir le président français ainsi que ses homologues internationaux réagir en présentant de réelles solutions pour faire face à la crise climatique.
Quels sont donc les enjeux principaux de cette COP 26 ?
La question de la sortie progressive d’un modèle énergétique basé sur les ressources fossiles apparaît comme l’un des points essentiels à aborder lors de ce sommet mondial. Selon plusieurs observateurs, l’abandon du pétrole, du gaz et surtout du charbon est la condition sine qua non du respect de l’objectif +1,5 °C. Alors que des pays comme l’Allemagne, l’Inde ou la Chine continuent de développer leur utilisation, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement préconise une baisse mondiale de 6% par an de l’utilisation de ces ressources d’ici 2030 pour espérer respecter les engagements climatiques de l’Accord de Paris4. La tendance actuelle est malheureusement inverse, avec une augmentation annuelle d’environ 2%.
Le rehaussement des engagements climatiques des États signataires de l’Accord de Paris est également un point qui ne peut être sous estimé. L’ONU a en effet calculé que les efforts annoncés actuellement par les leaders politiques mondiaux mèneront à terme à un réchauffement catastrophique de 2,7°C. Ce besoin de revoir à la hausse les ambitions bas carbone des nations passe nécessairement par l’implication des acteurs privés. Les entreprises ont ainsi un rôle déterminant de levier à jouer afin d’encourager les négociateurs à réévaluer leurs efforts climatiques, notamment en matière de contribution à la neutralité carbone.
Sur le plan purement diplomatique, deux enjeux représentent actuellement les points de tension empêchant les nations impliquées dans les négociations d’aboutir à la mise en place d’une législation efficiente et d’actions concrètes. D’une part les États doivent trouver un accord sur l’instauration d’un mécanisme qui fixera les aides techniques et financières à apporter aux pays et aux populations victimes du dérèglement climatique. Deuxièmement, les dirigeants présents à Glasgow doivent mettre en place (selon l’article 6 du manuel d’application de l’Accord de Paris) un système d’échange de quotas d’émission carbone similaire à celui existant déjà à l’échelle des entreprises5. L’ETS (Emission Trading System) met effectivement en place des limites au niveau des émissions de gaz à effet de serre qu’une entreprise peut émettre. Lorsqu’une structure dépasse ces restrictions, elle doit alors acheter des quotas d’émission, soit directement sur le marché carbone, soit en passant par une autre entreprise. En suivant ce modèle, le nouveau marché devrait donc permettre aux États les plus polluants d’acheter des droits d’émission aux États les moins polluants. Ce procédé appartient à un ensemble de stratégies qu’une nation ou une entreprise peut mettre en place pour contribuer à la neutralité carbone.
Quels enjeux pour les acteurs privés lors de cette COP26 ?
Les COP, au delà de leur aspect diplomatique, représentent également chaque année l’occasion pour les acteurs privés de mettre en avant leurs solutions bas carbone et de s’engager pour le climat. Le rôle grandissant des entreprises dans la lutte contre le réchauffement anthropique de la planète amène certaines structures à manifester leur engagement en se regroupant sous forme de coalition. La We Mean Business Coalition, qui comptabilise 1638 engagements climatiques et environnementaux de la part de 1051 entreprises, s’inscrit dans cette démarche6. Cette organisation à but non-lucratif a ainsi rédigé une lettre ouverte au sein de laquelle elle appelle les leaders politiques à « stimuler des investissements et encourager des décisions commerciales en faveur du climat dans les pays du G20 ». Un appel qui sera notamment tributaire de plusieurs enjeux diplomatiques de la COP26, comme le besoin d’une meilleure réglementation des marchés carbone réglementés et volontaires. Créé en 2005 sous l’impulsion du protocole de Kyoto, le marché carbone réglementé oblige les grandes entreprises à respecter des plafonds de rejets de gaz carbonique, limites au delà desquelles elles doivent acheter des quotas carbone pour compenser leurs émissions. Parallèlement à ce système d’échanges d’origine étatique, un marché carbone volontaire existe également. Celui-ci permet à des structures privées d’obtenir des crédits carbone en dehors du cadre réglementaire et de toute obligation légale en finançant des puits de carbone. Et c’est justement dans ce contexte que la COP26 doit intervenir. En effet, ces projets de contribution carbone posent un problème de législation autour de la comptabilisation des rejets de CO2. Est-ce ainsi à l’entreprise qui finance ce projet de séquestration carbone d’intégrer les rejets provoqués par la mise en place de ce puits dans son bilan carbone ? Ou est-ce le rôle de l’ONG ou organisation qui le fait sortir de terre ? La COP26 devra trancher sur ce sujet, en fixant des règles techniques claires pour éviter par exemple une double comptabilisation des émissions. La question du cadre juridique autour de la tonne d’eq CO2, une notion utilisée dans les deux marchés carbone, devra également être abordée lors de ce sommet. La COP26 sera-t-elle en mesure de répondre à ces besoins de clarté et de réglementation sur ces deux marchés ? Nous aurons la réponse lors de ces deux prochaines semaines.
Comment contribuer efficacement à la neutralité carbone ?
Le recours à des démarches efficaces, pérennes et visant à contribuer à la neutralité carbone apparaît aujourd’hui comme vital. Les projets de séquestration et de réduction des émissions de GES ont actuellement le vent en poupe, même si plusieurs interrogations subsistent sur la capacité de ces puits à porter à eux seuls les ambitions bas carbone de l’Accord de Paris. De plus, le marché carbone réglementé, même s’il sert à responsabiliser les entreprises et à les sanctionner financièrement quand elles ne respectent pas les limites fixées, ne constitue au final qu’un système d’échanges financiers. Cette méthode de dissuasion ne permet donc pas d’inciter les grands groupes à réduire directement leur empreinte carbone. C’est pour ces raisons que le secteur privé a aujourd’hui l’occasion de promouvoir une double démarche de contribution à la neutralité carbone. D’une part les entreprises doivent établir des bilans carbone à même de mettre à jour les secteurs les plus émetteurs de leur production et ainsi instaurer des plans d’action pour réduire directement leurs rejets. Et d’autre part elles doivent continuer à contribuer à la réduction via l’achat de crédits carbone et le financement volontaire de puits de gaz carbonique. C’est cette synergie réduction/contribution constitutive d’une contribution à la neutralité carbone efficiente qui doit être promue afin de répondre à l’urgence climatique actuelle et participer au respect de l’objectif +1,5°C.
Sources :
Crédit Photo : UK Cop26