Une usine allemande produisant un kérosène neutre en carbone a ouvert en octobre dernier en Allemagne. Le carburant produit à partir de CO2 capté directement dans l’air sera vendu à des compagnies aériennes. L’installation fait partie du plan national allemand de réduction des émissions du secteur aéronautique.
Le secteur du transport aérien représente aujourd’hui 2,5%1 des émissions anthropiques mondiales de gaz à effet de serre. L’écrasante majorité de ces émissions est due à la fabrication, au transport et surtout à la crémation du kérosène utilisé comme carburant pour les avions (17% pour la fabrication et le transport et 83% pour la combustion en France)2. Dans le secteur aéronautique, s’engager contre le réchauffement climatique revient donc à favoriser l’émergence de nouveaux carburants ; des solutions alternatives plus respectueuses de l’environnement, que ce soit dans leur conception ou leur utilisation. L’Allemagne, qui s’est fixé comme objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2045, compte notamment sur les efforts climatiques du secteur aérien pour mener à bien son projet de réduction d’émissions. C’est dans cet esprit que s’inscrit l’ouverture de l’usine de Werlte.
La première usine de kérosène vert au monde
Inaugurée le 4 octobre 2021 au nord ouest de l’Allemagne, l’installation est présentée par Dietrich Brockhagen, président de l’ONG Atmosfair qui a développé le projet, comme la « première usine au monde à produire du kérosène neutre en carbone ». Elle devrait permettre dès début 2022 de produire une tonne de kérosène vert par jour. Une goutte dans l’océan dans un secteur du transport aérien international qui consomme quotidiennement plus d’un milliard de litres de kérosène3. Cependant, les instigateurs du projet rappellent que le but de l’installation reste avant tout de prouver et de garantir la viabilité technologique et économique du e-kérosène. Même si le carburant synthétique d’Atmosfair est à l’heure actuelle bien plus onéreux à l’achat que du kérosène classique, l’organisation à but non-lucratif compte sur la mise en place de taxes carbone et d’une politique contraignante à l’égard des énergies fossiles pour rééquilibrer la balance et devenir compétitive sur le marché de l’aéronautique. De plus, des mesures au niveau national et européen visant à instaurer des quotas d’utilisation de carburant électrique par les compagnies aériennes commencent à voir le jour et devraient donc alimenter cette dynamique positive. L’Allemagne s’est par exemple engagée à utiliser 200 000 tonnes de kérosène vert chaque année soit 2% des besoins du trafic aérien national d’ici 2030. Une promesse qui devrait encourager la création de projets similaires de plus grande envergure.
Un carburant créé à partir d’hydrogène et de CO2
Lors de l’inauguration du bâtiment, Angela Merkel, encore chancelière, a insisté sur la nécessité de développer la technologie utilisée par l’installation, rappelant que « le kérosène synthétique et neutre en carbone jouera un rôle essentiel dans la politique de progrès climatique au niveau des transports. »4 Mais comment ce nouveau carburant est-il fabriqué ? L’usine de Werlte se sert actuellement de deux composants clé pour synthétiser son biocarburant : l’hydrogène et le dioxyde de carbone. L’électricité, nécessaire à la production d’hydrogène par électrolyse, provient d’installations éoliennes et solaires présentes à proximité du site. L’électrolyse consiste à séparer les éléments chimiques d’un liquide, en l’occurrence ici de l’eau, en le faisant traverser par un courant électrique. Ce procédé permet d’isoler l’hydrogène. Le dioxyde de carbone est lui soit directement capté dans l’air soit acheminé depuis une usine de biogaz qui utilise des déchets alimentaires. Le CO2 est donc perçu comme une ressource essentielle à la production de carburant, comme un matériau brut, et non comme un gaz nocif responsable du réchauffement de la planète, comme le rappelle Dietrich Brockhagen. Le pétrole brut créé suite au mélange de l’hydrogène et du gaz carbonique est ensuite raffiné en carburéacteur. Ce type de carburant fait donc partie des « Power-to-Liquid », un concept qui regroupe l’ensemble des sources d’énergie liquides produites grâce à la conversion d’électricité d’origine renouvelable. À terme, Atmosfair espère pouvoir se passer de biogaz en captant et en emprisonnant directement depuis l’atmosphère la totalité du CO2 nécessaire à la production de son e-kérosène. Plusieurs avantages découlent ainsi de la création et de l’utilisation de ce nouveau combustible. Premièrement, l’entièreté de son processus de fabrication rejette dans l’atmosphère autant de CO2 que la quantité extraite dans l’air et nécessaire à sa fabrication. C’est cet équilibre qui permet au procédé d’être neutre en carbone. De plus, puisqu’il imite un kérosène traditionnel, aucune modification technique conséquente n’est à prévoir sur les appareils qui l’utiliseront, ce qui facilitera son introduction sur le marché.
Une dynamique environnementale favorable
La Lufthansa sera le premier client de l’usine de Werlte. La compagnie aérienne allemande a annoncé vouloir acheter 25 000 litres de e-kérosène par an pendant au moins cinq ans. Un premier pas à la fois altruiste et nécessaire puisque l’IATA (l’Association du transport aérien international) s’est engagée début octobre 2021 à atteindre la neutralité carbone en 20505. Les représentants des 290 compagnies aériennes présentes à Boston comptent notamment sur le développement et la démocratisation des carburants d’aviation durable pour réduire de 65% leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici le milieu du siècle. Le reste des efforts climatiques du secteur sera divisé entre l’introduction de nouvelles technologies de propulsion et un ensemble de projets de captation, de stockage et de compensation de gaz à effet de serre.
Sources :
Crédit photo : Atmosfair GmbH