La COP26 annonce-t-elle la fin du double comptage des crédits carbone ?
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La COP26 annonce-t-elle la fin du double comptage des crédits carbone ?

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La double comptabilisation des crédits carbone consiste à dupliquer la réduction/séquestration/évitement d’une ou de plusieurs tonnes d’éqCO2 échangées sur le marché carbone volontaire. Cette problématique qui a retardé pendant cinq ans l’adoption de l’article 6 de l’Accord de Paris et la création d’un nouveau marché carbone interétatique, a été résolue lors de la COP26, mais uniquement entre les pays. En effet, le double comptage persiste encore pour les entreprises, qui ne sont pas soumises aux mêmes obligations légales que les États, bien qu’elles soient aussi actrices de ce nouveau système d’échanges.

En quoi consiste le double comptage de crédits carbone ?

Le double comptage intervient lorsqu’une tonne d’éqCO2 est comptabilisée à la fois par l’acheteur et par le vendeur d’un crédit carbone. Pour rappel, un crédit carbone est une unité de réduction certifiée d’émissions monnayée sur le marché carbone volontaire. Elle correspond à une tonne d’équivalent carbone (éqCO2) qu’une structure aura réussi à séquestrer ou à éviter et qu’elle pourra donc vendre. Plusieurs types de projets menant à la production de crédits existent. Les projets d’évitement consistent ainsi à trouver des solutions qui permettront d’émettre moins de gaz à effet de serre. Ces démarches peuvent se traduire par un recours aux énergies renouvelables ou par la meilleure gestion des ressources énergétiques afin de réaliser des économies. Les projets de séquestration consistent eux à capter le CO2 directement dans l’air et à l’enfouir grâce à un « puits de carbone ». Ce dernier peut être naturel (projet forestier ou océanique) ou industriel (Carbon Capture and Storage). 

Lorsqu’une entreprise souhaite investir dans des crédits carbone (par conviction écologique ou pour des raisons réputationnelles, d’image de marque), elle fait très souvent appel à un tiers qui développe pour elle un projet de séquestration. Les tonnes de gaz carbonique qui seront ainsi captées et emprisonnées pourront être traduites en crédits carbone et récupérées par le porteur de projet pour son propre bilan. C’est à ce moment-là que le problème du double comptage peut intervenir. Il arrive en effet qu’un crédit soit revendiqué à la fois par l’acheteur et par le vendeur. Cette modalité de la double comptabilisation d’une tonne de GES est généralement la plus fréquente. Elle a notamment été défendue par le Brésil, la Chine ou l’Arabie Saoudite1. Mais il existe également une autre manière d’aboutir à la présence d’un même crédit dans plusieurs bilans carbone, à savoir la vente d’une même tonne de gaz à effet de serre à deux entités distinctes. 

Ces failles traduisent donc toutes deux la nécessité d’adopter une législation plus ferme avec une sérialisation de chaque crédit pour qu’il soit quantifié, vérifié, enregistré, attribué puis retiré au bon moment du marché carbone. Dans un contexte où les pays comptent aujourd’hui énormément sur la création d’un système d’échanges étatique pour atteindre leurs objectifs climatiques dans le cadre de leur contribution déterminée au niveau national (CDN), le besoin de mettre en place des mécanismes de transactions financières clairs et reconnus de tous apparaissait donc comme essentiel. 

Comment la COP26 a-t-elle résolu (en partie) cette problématique ? 

La 26ème conférence des parties a enfin permis d’adopter l’article 6 de l’Accord de Paris, dernier point de tension que les quatre dernières COP n’avaient pas réussi à évacuer. Un système d’échanges d’émissions de gaz à effet de serre entre les États ou entre les acteurs des secteurs public et privé a donc été mis en place. La fin du double comptage, qui représentait la condition sine qua non à la création d’un marché carbone interétatique, a donc été actée (du moins entre les pays). Elle dépendait jusque là d’un mécanisme de sécurisation des transferts. Les parties présentes à Glasgow ont décidé de mettre en place un « principe d’ajustement ». Ce principe consiste en un système de comptabilité carbone qui implique les deux acteurs de la transaction. Ainsi la règle contraint le pays qui transfert sa réduction/séquestration/évitement d’émission à ajouter cette dernière à son total national d’émissions de gaz à effet de serre, et autorise le pays acquéreur à soustraire un montant équivalent à son total national de GES2. 

Prenons un exemple : Un pays A émet actuellement 305 tonnes de CO2. L’objectif inscrit dans sa contribution nationale est d’atteindre les 300 tonnes de CO2 émises. De son côté, un pays B émet 495 tonnes de CO2, avec pour objectif initial de rejeter 500 tonnes de GES dans l’atmosphère. Ce pays B a donc déjà dépassé ses propres objectifs climatiques, et peut se permettre de vendre 5 crédits carbone au pays A pour qu’il satisfasse à son tour ses ambitions. Le pays A (l’acquéreur) achète donc 5 crédits et soustrait ces tonnes de COà son total national, passant de 305 à 300 tonnes émises. Le pays B (le vendeur), intègre pour sa part les 5 tonnes transférées au pays A dans son propre bilan national, passant de 495 à 500 tonnes émises. De cette façon, la réduction bénéficie à seulement l’un des deux pays et le double comptage est évité. La transaction consiste donc simplement à transférer 5 tonnes de CO2 déjà séquestrées ou évitées d’un État à l’autre. Dans les faits, aucune quantité de gaz à effet de serre n’a été captée et emprisonnée ou simplement évitée lors de l’échange. Ce dernier est d’ordre purement financier. Il est dans l’intérêt de l’État vendeur de ne proposer que des crédits carbone « en surplus », à savoir des tonnes de CO2 qui ne font pas partie des efforts climatiques visant à respecter les objectifs de sa propre contribution déterminée au niveau national. 

Les entreprises, qui grâce à l’article 6 de l’Accord de Paris pourront également échanger des crédits avec des États, ne sont elles en revanche pas soumises au principe d’ajustement. Certaines ONG craignent donc que les structures privées en profitent et continuent à faire circuler sur le marché des crédits non-autorisés issus de projets non-validés par l’ONU. C’est pour cette raison qu’Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations Unies, a annoncé lors de la COP26 qu’un groupe d’experts serait chargé d‘évaluer les engagements de contribution à la neutralité carbone des acteurs privés afin d’éviter tout abus. Ainsi les entreprises qui ne se dirigent pas d’elles-mêmes vers l’achat et la vente de crédits carbone autorisés prendront assurément des risques pour la renommée de leur structure.

Sources :

Crédit Photo : Viridis Energy

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