Plus vite, plus haut, plus fort…Paris 2024 annonce le ton. Mais l'événement sera-t-il aussi “plus vert” ? C’est en tout cas l’objectif réaffirmé par Tony Estanguet, président de Paris 2024, lors du lancement le 9 décembre dernier d'un comité de pilotage composé de 9 experts, pour mener à bien la “Transformation Écologique des Jeux”. Vœux pieux ou réel engagement ? Capitaine Carbone vous en dit plus sur le plan annoncé pour réduire l’empreinte carbone de ces prochains Jeux Olympiques et Paralympiques.
L’inquiétude grandissante autour du réchauffement climatique, renforcée par les alertes du Giec dans les extraits publiés de son dernier rapport, met en exergue les bilans carbone désastreux des événements culturels et sportifs d’envergure mondiale, comme les JO. En 2020, les Jeux de Tokyo ont émis 2,4 millions de tonnes de CO2, en sachant que les déplacements ont été restreints par la crise sanitaire. Les précédentes éditions à Londres ou Rio, dans des conditions habituelles, ont atteint à chaque fois plus de 3.5 millions d’émissions de tonnes de CO2. Ces chiffres colossaux démontrent à quel point le défi s’annonce périlleux pour les membres du comité de pilotage chargé de conduire ces JO sur la voie de la neutralité carbone. Présidé par Gilles Boeuf, professeur émérite à la Sorbonne, spécialisé dans la biodiversité, ce comité d’experts va se réunir trois fois par an jusqu’à la tenue des jeux afin de formuler des recommandations aux organisateurs pour tenir ce pari ambitieux. 1
Quelle stratégie pour viser la neutralité carbone ?
Dès la présentation de sa candidature pour organiser les Jeux Olympiques et Paralympiques sur le sol français, le COJO (comité d’organisation des Jeux olympiques) de Paris 2024 avait établi une stratégie et un plan d’action pour limiter son impact environnemental, alignés sur les Accords de Paris. Là où les anciennes éditions établissaient leur bilan carbone après la fin des Jeux pour ensuite penser à des moyens de compensation, les Jeux de Paris s’attaquent au problème en amont en développant une stratégie double. Premièrement, le COJO compte calculer avant la tenue de l’événement un budget carbone à ne pas dépasser. Celui-ci est aujourd’hui estimé pour les Jeux d’été 2024 à 1,5 millions de tonnes de CO2 rejetées dans l’atmosphère, soit deux fois moins qu’à Rio ou à Londres. Ce premier bilan correspond aux émissions « résiduelles » qui ne pourront pas être évitées. Elles sont principalement liées au transport et à l’alimentation des athlètes et des spectateurs. Dans un second temps, des actions de réduction carbone seront amorcées pendant les épreuves et un suivi de l’impact carbone sera également réalisé tout au long des Jeux.
Pour mettre en œuvre cette stratégie, les organisateurs misent sur de nombreuses infrastructures déjà existantes dans la capitale française afin de réduire de moitié, l’impact carbone engendré. Du Grand Palais à la place du Trocadéro en passant par les jardins du Château de Versailles, les plus grands monuments parisiens seront réquisitionnés pour devenir les terrains de jeux éphémères des athlètes du monde entier. D’après le COJO, « Certaines éditions construisaient jusqu’à dix nouveaux équipements sportifs quand les Jeux de Paris 2024 n’en nécessiteront qu’un seul : le centre aquatique ». Ce seul critère devrait permettre de réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre comparées aux olympiades précédentes. D’autres efforts seront menés pour faire baisser ce bilan carbone, comme l’utilisation d’énergies renouvelables pour les lieux qui accueilleront les épreuves et qui seront accessibles en transport public, un plan de restauration durable ou encore l’emploi d’équipements sportifs éphémères à faible empreinte carbone.2
Deux appels à projets pour réduire l’impact carbone
Deux appels à projets ont également été étudiés par les bureaux du ministère de la Transition écologique dès 2019 afin d’encourager cet objectif de neutralité carbone. Un premier porte sur la production d’énergie hors réseaux. Le but étant de faire émerger des groupes électrogènes propres, fonctionnant aux énergies renouvelables. À Londres plus de quatre millions de litres de gazole, fort émetteur en CO2, avaient été brûlés. Une manœuvre dont pourront et donc devront se passer les Jeux de Paris selon Emmanuelle Wargon, déléguée auprès de la ministre de la transition écologique. Le second projet visait à construire les infrastructures nécessaires au déroulement des épreuves entièrement en bois, un matériau peu énergivore qui présente de nombreux avantages environnementaux. Finalement, seulement 30 % des bâtiments du futur village olympique seront construits en structure bois ou mixte, une information annoncée par les grands acteurs de ce projet lors du Forum Construction Bois organisé l’été dernier.
Compenser les émissions impossibles à réduire
Ces initiatives ne seront donc pas suffisantes pour faire de ces Jeux olympiques un événement éco-responsable au bilan carbone neutre voire positif. C’est pourquoi le comité chargé des JO de 2024 « s’engage à compenser toutes les émissions qui ne peuvent être évitées en soutenant des projets de prévention et de capture de CO2 ». L’une des pistes avancées par le COJO est notamment l’implication des entreprises ESS (économie sociale et solidaire). Beaucoup d’entre elles ont répondu à l’appel depuis l’ouverture des marchés pour les Jeux. « Aujourd’hui c’est encore un peu tôt pour dire que certaines entreprises ESS vont prendre part à la compensation de l’impact carbone. Mais en tout cas c’est une certitude que c’est l’objectif vers lequel on tend », précise Georgina Grenon, Directrice de l’Excellence Environnementale à Paris 2024.
Pour cette phase de compensation carbone volontaire, les décideurs ont retenu le périmètre de compensation le plus large : le scope 3. Il s’agit de prendre en compte la portée (« scope » en anglais) des trois types d’émissions de GES que l’on peut retrouver. Il y a les émissions directes notamment liées à la construction d’infrastructures (scope 1), les émissions indirectes, liées à l’activité de l’événement comme par exemple l’énergie à fournir (scope 2) et enfin, il y a les autres émissions indirectes liées, entre autres, aux déplacements des spectateurs.
Communication ou réel engagement ?
Considéré comme le premier grand événement sportif à contribution positive pour le climat, certains soutiennent qu’une politique de « Greenwashing » se cache derrière ces promesses verdoyantes. C’est par exemple le cas du collectif citoyen Non aux JO 2024 à Paris, fondé par Frédéric Viale, auteur, docteur et enseignant en droit. « Des JO écologiques ? Comme la croissance verte, c’est un oxymore. » publie-t-il, dans son livre intitulé JO 2024 miracle ou mirage ?3. Il est vrai que si la majorité des établissements accueillant les compétitions sportives n’impliquent pas de grands chantiers, en revanche le COJO prévoit de supprimer des milliers de mètres carrés d’espaces verts et de terres pour faire place au béton. C’est le cas par exemple du prochain village des médias à Dugny, qui rendra artificiel une partie du parc George-Valbon considéré comme un des poumons de cette zone urbaine très dense. Par ailleurs, le prochain parc aquatique, où des extensions (solarium et salles de fitness) sont prévues par Grand Paris Aménagement, devrait substituer 4000m2 de terres fertiles aux jardins ouvriers des Vertus à Aubervilliers en Seine-Saint-Denis.4
Cependant, les organisateurs assurent que l’héritage de ces Jeux sera positif pour les habitants des quartiers concernés, qui s’inquiètent de voir le peu d’espaces verts qui les entourent disparaître. Bien que des logements existent pour accueillir de façon temporaire les athlètes et les médias, la décision prise par le CIO et le COJO est de « booster » le département avec la construction d’écoquartiers laissant une grande place aux espaces verts. La Seine Saint-Denis pourra aussi profiter à nouveau du « Terrain des essences », soit 13 hectares de terrain qui seront dépollués et reboisés, à l’occasion des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024. Autrefois enclavé entre la Courneuve et l’avenue Waldeck Rochet, ce nouvel espace vert viendra agrandir le parc George-Valbon et jouera un rôle essentiel dans le plan de compensation carbone prévu par le comité d’organisation.5
Des partenaires mondiaux engagés
Pour mettre toutes les chances de son côté, le COJO de Paris 2024 s’est entouré de partenaires engagés dans la lutte contre le changement climatique pour organiser ces olympiades. Ainsi, EDF fournirait 100% d’électricité renouvelable neutre en carbone. Sur le papier, l’idée paraît simple, mais en réalité la démarche est plus compliquée qu’elle n’y paraît. Pour qu’un producteur d’énergie soit qualifié de producteur d’énergie renouvelable, il se doit de demander un certificat de garantie d’origine (GO) auprès de Powernext, le seul organisme en France agréé par le Ministère de la Transition écologique à pouvoir délivrer de tels documents. Après validation, ce dernier lui remet un numéro d’identification unique, qui comme un dossard sur le dos d’un coureur, va permettre de garantir la traçabilité de l’énergie verte. Cette « GO » est ensuite achetée par le fournisseur d’énergie. Par conséquent, fournir 100 % d’électricité renouvelable aux Jeux de 2024 est possible, mais avant ça, les organisateurs devront s’acquitter de beaucoup de garanties d’origines.6
On note aussi la présence de WWF France parmi les soutiens de l’évènement. Pour la fédération, Paris 2024 doit adopter une démarche innovante en matière de compensation, engageant le plus grand nombre et sur le long terme, de sorte à construire un héritage qui perdurera après les Jeux. Cette démarche passe par le financement de projets internationaux déjà existants sur le marché carbone volontaire comme par exemple l’initiative de la Grande Muraille Verte pour le Sahara et le Sahel. Ce projet lancé en 2007 est un programme qui a pour ambition de lutter contre la dégradation des terres et la désertification au Sahel et au Sahara. Ce projet regroupe aussi une mosaïque d’autres initiatives de terrain pour une Gestion Durable des Terres (GDT) et une protection des ressources naturelles.7
« Il est hors de question que cette ambition d’être des Jeux neutres en carbone puisse ne pas voir le jour », affirmait avec détermination Tony Estanguet, président du COJO de Paris 2024, lors de la conférence CHANGE NOW de janvier 2020.8 La volonté d’être les premiers Jeux à contribuer positivement pour le climat semble sincère dans les déclarations et pertinente dans les démarches. L’annonce de la création d’un comité de pilotage avec des membres indépendants en décembre 2021 est un nouveau signe encourageant pour que ces JO tiennent leurs promesses, et deviennent un exemple de la réussite d’une stratégie de contribution à la neutralité carbone. Rendez-vous en 2024 pour voir si les bonnes intentions d’aujourd’hui se réaliseront dans les faits.
Sources :