Sinallagma – Entretien avec une TPE engagée dans la transition écologique
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Sinallagma – Entretien avec une TPE engagée dans la transition écologique

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Chaque jour, des TPE et PME françaises s'impliquent activement dans la transition écologique. Des entrepreneurs engagés et engageants mènent diverses actions en faveur de la protection de la biodiversité, de la réduction de nos émissions de GES tout en promouvant un mode de vie plus durable. En tant que média d'information, il en va de notre responsabilité de vous partager ces initiatives vertueuses. C'est dans ce contexte que Capitaine Carbone, le média dédié aux entreprises en transition vers la neutralité carbone, met en lumière ces TPE et PME engagées à travers une série d'entretiens. Cette fois Capitaine Carbone s’est rendu à Paimpont en Bretagne, à la rencontre de Vincent Bechtel, le fondateur de Sinallagma.  


 

Bonjour Vincent, peux-tu commencer par nous dire comment est né Sinallagma et en quoi consiste ton activité ?

Sinallagma, c’est le résultat de la conjonction de plein d’éléments de vie. J’ai enchaîné plusieurs postes d’ingénieur dans de grandes industries, et à la quarantaine, j’ai commencé à me poser beaucoup de questions sur le sens de mon travail. J’allais devenir papa, c’était donc le moment d’écrire ma vie comme je l’entendais en faisant en sorte que mon fils soit fier de son papa plus tard. À titre personnel, je suis militant, ma maison est éco-conçue, mais une fois qu’on a fait sa maison, que faire d’autre ? Créer une entreprise oui,  mais pourquoi faire ? La réponse était toute proche de moi, puisque cela fait des années que mon livre de chevet est une thèse d’Olga Popovic-Larsen* sur un monde complètement confidentiel et méconnu : la charpente bois en structures réciproques. Je me suis toujours intéressé aux charpentes, je trouve le métier de charpentier incroyable, et quand je suis tombé sur les travaux de cette chercheuse je me suis pris de passion pour ces structures autoportantes. J’ai découvert un pont militaire conçu par Léonard de Vinci avec cette technique, les œuvres d’un architecte médiéval Villard de Honnecourt, mais aussi les charpentes complètement folles de Katsuhiro Ishii**. Tout cela pour dire que j’ai décidé de revenir à la matière, j’ai fait une formation accélérée en charpente avec les Compagnons du devoir et en parallèle j’ai lancé Sinallagma avec l’idée de réaliser des ombrières en structures réciproques pour végétaliser les villes. Il n’était pas question pour moi de construire encore des bâtiments (il y en a assez comme cela) et je me suis dit qu’avec les changements climatiques, il serait bien plus utile d’apporter des îlots de fraîcheur en ville, notamment aux endroits où il n’est pas possible de planter des arbres à cause des réseaux en sous-sol, etc.
Photo des témoignages Vincent Bechtel – Fondateur de Sinallagma

En quoi consiste exactement une structure réciproque et en quoi cette méthode de construction est plus écologique qu’une autre ? 

Une structure réciproque est un maillage de barres dont chacune tient sur la suivante autant qu’elle soutient la précédente. Beaucoup de chercheurs ont fait des comparatifs entre les structures réciproques et les structures classiques, généralement il y a 25% de bois en moins qui est utilisé avec cette technique spécifique.  Ces structures sont autoportantes sans clou, sans colle, sans vis. Il n’y a pas de déchets. Nos ombrières sont à la fois utiles et durables, elles sont fabriquées en France avec des ressources locales et ne seront pas considérées comme des déchets en fin de vie.  Nous utilisons du bois de châtaigner, issu de Normandie et de Bretagne, le bois le plus durable en milieu extérieur sans protection chimique. Et on a de la chance, puisque d’après l’ONF, il s’avère que le châtaigner migre du sud vers le nord-ouest de la France et que la population de châtaigniers augmente d’année en année. On utilise donc une ressource très peu exploitée et qui, en plus, a tendance à se rapprocher de chez nous.
Photo des témoignages Vincent Bechtel – Fondateur de Sinallagma

Ombrière Sinallagma devant l’office du tourisme de Paimpont, Morbihan. Photo Capitaine Carbone.

Vous évoquez aussi la notion de biomimétisme dans la description de Sinallagma, en quoi vos ombrières peuvent-elles se réclamer du biomimétisme ?

Bien avant de créer Sinallagma j’avais fait mon mémoire de fin d’étude sur le biomimétisme appliqué en architecture, et j’ai même eu un article publié dans la revue « Les Dossiers techniques de la construction » aux éditions du Moniteur. C’est donc un sujet que je maîtrise bien et que j’ai appliqué à mon projet d’ombrières. Sans entrer dans un niveau de détail trop fin, on peut dire qu’ il y a trois approches du biomimétisme en architecture : la forme, le processus et l’écosystème. Le biomimétisme de forme signifie qu’on s’inspire d’une forme de la nature. L’exemple le plus célèbre c’est le TGV japonais inspiré du bec du martin-pêcheur pour son profil aérodynamique. De notre côté, le maillage en structure réciproque est inspiré d’un petit crustacé, le squille multicolore,qui a la particularité de se nourrir en perçant les coquilles de ses proies sans briser ses propres pattes. Il arrive à faire cela grâce à un agencement de chitines** en hélice hexagonale qui ressemble à nos structures réciproques. Quand le squille donne un impact sur la coquille, cet agencement permet de disperser l’énergie dans toute sa structure et ses pattes ne se brisent pas sous le choc. Si vous tapez avec un gros maillet sur nos structures réciproques, rien ne va bouger, le maillet rebondit parce que l’énergie se disperse dans tout le maillage de bois. Le biomimétisme de processus, lui, est un peu plus lointain, mais on peut s’en approcher par notre système de montage toujours de l’intérieur vers l’extérieur, en rayon concentrique comme la pousse d’un arbre par exemple. Mais l’inspiration de la nature qui nous plaît le plus, c’est l’écosystémique. C’est celle où personne ne va d’ailleurs. Dans la nature, rien ne se perd, tout se transforme, le concept même de déchet n’existe pas. Pour nous cela signifie qu’un déchet est égal à une ressource, il nous a fallu réfléchir autrement pour trouver des solutions moins évidentes que la chimie, puisque si je mets de la colle sur mon bois par exemple mon ombrière sera un déchet en fin de vie. On travaille avec des ressources locales et des matières que l’on transforme le moins possible. Quand on taille légèrement notre bois, les copeaux seront réutilisés pour les toilettes sèches, par exemple. Après évidemment rien n’est parfait, on a des camions pour transporter le bois, c’est difficile de le faire en pirogue ! On consomme de l’électricité pour utiliser nos logiciels, certes en énergies renouvelables et nos données sont hébergées dans un cloud éthique, mais c’est une consommation quand même. Toutefois on se creuse vraiment la tête pour que nos structures soient les plus frugales et durables possibles.
Photo des témoignages Vincent Bechtel – Fondateur de Sinallagma

Est-ce réellement possible qu’une entreprise ait un impact positif sur le vivant ? Cela paraît contre-intuitif dit comme cela.

Oui ce n’est pas évident c’est vrai. Mais nous travaillons le bois, comme je l’ai dit nous le transformons très très peu, si ce n’est quelques taillages, et le bois a l’avantage de stocker du carbone. Notre bois va continuer à stocker son carbone quand il sera utilisé pour les ombrières qui ont pour ambition de durer au moins 100 ans, et il sera possible de le mettre ensuite au compost où il va se désagréger dans le sol qui va stocker le carbone à son tour. Donc si on coupe un arbre pour en faire une ombrière, elle va toujours stocker le carbone et cet arbre là ne sera pas parti en fumée en libérant du carbone, ou ne sera pas devenu un polluant. Un autre arbre sera planté à la place de celui que nous avons coupé, et le cycle va continuer ainsi.
Photo des témoignages Vincent Bechtel – Fondateur de Sinallagma

Sinallagma au Salon du végétal 2024 à Angers. Photo Sinallagma.

Est-ce qu’on peut définir Sinallagma comme une entreprise régénérative ?

En tout cas l’idée me parle beaucoup, et je pense que c’est ce que nous faisons sans avoir réellement conceptualisé la démarche régénérative. En revanche, nous travaillons pour devenir officiellement une entreprise à mission. J’ai rédigé un manifeste à la création de l’entreprise à destination de chaque personne qui va travailler pour Sinallagma. C’est un document que je donne avant même un entretien d’embauche, et il faut que le candidat soit absolument aligné avec tous les points sans hésitation et sans réserve. Cette charte a été rédigée de manière à être un tremplin pour passer en société à mission. Pour l’instant, nous n’avons pas le statut officiel parce que pour une petite entreprise comme la nôtre, c’est beaucoup trop de contraintes, mais c’est un but à long terme.
Photo des témoignages Vincent Bechtel – Fondateur de Sinallagma

Le concept de structures réciproques n’est pas nouveau, alors où est l’innovation chez Sinallagma ?

L’innovation est partout, d’ailleurs nous avons été labellisés French Tech ce qui est assez rare pour une entreprise de charpente. La première innovation, c’est l’industrialisation des structures réciproques, nous sommes la première entreprise au monde à ne faire que cela. D’autre part, l’innovation vient aussi de notre savoir-faire en design paramétrique. On va coder un programme pour obtenir une structure réciproque de manière automatique ou semi-automatique. On arrive à faire des structures de plus en plus alambiquées, avec une part d’aléatoire dans l’algorithme pour conserver un effet un peu sauvage. On doit aussi innover sur la conception des structures. Par exemple, le bois n’aime pas l’eau, donc pour assurer la durabilité des ombrières, on a dû réfléchir pour inventer des assemblages qui évitent la stagnation de l’eau, toujours sans clou, ni vis, ni colle. Nous avons une gamme de six modèles sur catalogue, et dernièrement, nous avons sorti une nouvelle gamme de modèles encore plus frugale en bois qui s’appelle Pergola Ikigaïa. Un mélange entre la voie de l’ikigai***, une philosophie de vie japonaise et Gaïa pour la terre.
Photo des témoignages Vincent Bechtel – Fondateur de Sinallagma

 “Ces structures sont autoportantes sans clou, sans colle, sans vis.Photo Sinallagma.

Qui sont vos clients, principalement les municipalités ? Vous n’adressez pas les particuliers ? 

La grande part de notre activité au lancement de la société est venue des paysagistes qui in fine installent nos ombrières chez des particuliers. Les villes sont nos clientes directes aussi, mais c’est parfois assez compliqué puisqu’il s’agit d’argent public et que forcément cela prend plus de temps pour décider comment il sera dépensé. Par exemple, en ce moment pour nous il y a vrai sujet sur la végétalisation des cours d’école. Mais qui prend la décision finale ? Est-ce que c’est le budget de l’éducation, celui de la voirie ou des espaces verts ? Est-ce que tous les services sont bien coordonnés ? En parallèle, le décideur peut aussi être un bureau d’études qui est consulté par la mairie, donc c’est le bureau d’étude qu’il faut convaincre.
Photo des témoignages Vincent Bechtel – Fondateur de Sinallagma

Au-delà d’être écologique aussi bien dans leur fonction que dans leur construction, ces ombrières sont aussi très belles, poétiques, est-ce que c’est une volonté de donner à voir la beauté de la nature dans les zones urbaines ?

Quand j’ai rédigé le manifeste, je me suis demandée évidemment qu’elle était la mission de mon entreprise, sa raison d’être et voilà comment je l’ai résumé : « Notre mission est d’embellir et végétaliser le monde par la poésie des structures réciproques biomimétiques. » Donc pour répondre à ta question, oui la poésie et la beauté sont des éléments indispensables à ma démarche avec Sinallagma. Je suis parti d’un constat simple, en dehors de l’architecture patrimoniale ou de belles places, les villes ne sont forcément ce qu’il y a de plus beau. En tout cas, le mobilier urbain est souvent triste et manque cruellement de poésie, c’est leur fonctionnalité et leur robustesse qui priment. Alors « embellir le monde », cela peut paraître un peu mièvre et super ambitieux comme raison d’être, mais pas du tout : quand on y pense, ce n’est pas Notre-Dame de Paris qui est tagué, ce n’est pas un beau kiosque du XVIIIe que l’on va dégrader… Il y a un respect pour le beau et l’artistique, en revanche un vieux parking gris tout bétonné, c’est presque un pousse au crime, pour moi mettre du mobilier urbain ou construire des bâtiments laids c’est un manque de respect passif pour les habitants. Je voulais donc que mes ombrières soient belles, poétiques, avec une jolie plaque en laiton où il ne sera pas marqué « ne taguez pas » mais qui expliquera l’histoire de cette structure.
Photo des témoignages Vincent Bechtel – Fondateur de Sinallagma

Photo Capitaine Carbone.

En dehors de la beauté de la nature, qu’apporte le fait de végétaliser vos ombrières ?

On a fait le choix de végétaliser les ombrières à la place de mettre juste un voile en tissu, parce que c’était la meilleure solution pour une réduction de la température et un retour de la biodiversité. Toutefois, il y a un effet collatéral que l’on n’avait pas imaginé au départ : une bonne odeur. En ville, à part devant une boulangerie, à quel endroit notre odorat est sollicité par de bonnes odeurs ? Si on met du jasmin pour végétaliser nos ombrières, on crée aussi un espace qui sent bon en ville. Tous les sens sont activés : la vue pour l’harmonie des structures autoportantes, l’odorat avec les fleurs, le toucher avec la texture du bois et même le goût… On pense à mettre de la passiflore, qui est une magnifique fleur donnant les fruits de la passion.
Photo des témoignages Vincent Bechtel – Fondateur de Sinallagma

Ombrières “fruitées” présentées au festival “Toulouse ville innovante et durable”. Photo Sinallagma.

* Olga Popovic-Larsen est une architecte et ingénieure danoise, autrice du livre Reciprocal Frame Architecture.

** Katsuhiro Ishii est un architecte japonais réputé pour ses toits et plafonds exubérants qu’il appose sur ses résidences en bois de charpente.

*** La chitine est une molécule naturelle qui a été identifiée dans la carapace de certains animaux invertébrés tels que des crustacés, et serait notamment impliquée dans la souplesse et la résistance de la carapace.

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