Industrie de la mode : entre greenwashing et prise de conscience éco-responsable
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Industrie de la mode : entre greenwashing et prise de conscience éco-responsable

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Le 23 mai dernier, la Fondation H&M et la Hong Kong Research Institute of Textiles and Apparel (HKRITA) ont exposé leur projet « Carbon Looper » : un vêtement en coton capable d’absorber le CO2 de l’air. Développée dans le cadre du programme « Planet First », cette innovation est présentée par ses créateurs comme un premier pas vers une industrie de la mode plus responsable. Face à l’urgence climatique, ce secteur très polluant est confronté à la nécessité de trouver des solutions pour réduire ses émissions de dioxyde de carbone. Greenwashing ou réelle volonté d’entraîner l’industrie de la mode vers des pratiques plus vertes ? La frontière est encore floue.

Le projet « Carbon Looper» présenté tout récemment par la Fondation H&M, développe un procédé qui consiste à imprégner le coton d’une solution contenant des amines, ce qui lui permet de stocker le dioxyde de carbone présent dans l’air. Le CO2 peut ensuite être relâché par les vêtements lorsque la température atteint entre 30 et 40 degrés et ainsi être absorbé par les plantes lors de la photosynthèse. Ce système est actuellement testé sous forme de tablier par le personnel du restaurant suédois Fotografiska à Stockholm qui possède un jardin hydroponique2 dans son sous-sol. La responsable de la stratégie à la Fondation H&MChristiane Dolva, précise que : « Notre programme Planet First avec HKRITA est un parfait exemple de la manière dont nous inspirons le changement à l’échelle du secteur en partageant ouvertement des preuves de concept. Nous n’avons pas le temps pour le traditionnel et la lenteur, c’est pourquoi nous ne visons pas la perfection, mais cherchons à faire sortir le plus rapidement possible du laboratoire des solutions pour qu’elles soient testées et améliorées, pour inspirer les autres et ainsi inciter à des collaborations qui pourraient finalement conduire à une application à l’échelle. »

Industrie particulièrement carbonée, la mode est en première ligne pour contribuer à la neutralité carbone d’ici 2050, un objectif à atteindre par les pays signataires des Accords de Paris. Entre innovation et réduction de ses gaz à effet de serre, certaines marques se sont engagées depuis longtemps sur cette voie.

Les bonnes pratiques et innovations du secteur textile 

Avant le développement du projet “Carbone Lopper”, d’autres vêtements capables d’absorber le CO2 ont été imaginés. En effet, la designeuse iranio-canadienne Roya Aghighi a déjà mis au point un prototype de vêtement « vivant »3. Confectionné à partir de cellules actives d’algues, ce textile est non seulement biodégradable mais il développe également un pouvoir de photosynthèse après deux heures passées au soleil. Il est donc capable de s’imprégner du CO2 qui l’entoure pour purifier l’air. Dans le but de limiter la surconsommation, Roya Aghighi explique sa vision du projet : « Si nos vêtements deviennent des « êtres dépendants » , nous construirons avec eux une relation plus intime en prenant soin d’eux ». Ces textiles “puits de carbone” ne sont pas encore commercialisés, mais ces recherches prouvent une volonté de participer à l’effort commun via l’innovation. D’autres marques de vêtements misent sur des pratiques plus green pour réduire leurs émissions carbone.

Plusieurs grandes enseignes ont pris des engagements qui ont un réel impact sur l’environnement. La marque Patagonias’est engagée à être transparente et détaille son empreinte écologique sur son site internet. Depuis 2020, 72 % de sa gamme est fabriquée à partir de matériaux recyclés. La marque affiche également toutes les informations sur la fabrication de ses tissus. Dans la même dynamique, la célèbre enseigne de chaussures Veja5 expose un rapport complet de son empreinte carbone et explique toutes les émissions qu’elle engendre. Veja fournit des efforts pour réduire cette empreinte, notamment en ne faisant pas de publicité pour ses baskets.

Réputée pour ses engagements responsables, Picture Organic Clothes6 a aussi fait le choix de la transparence. Depuis sa création en 2008, cette marque cherche à produire des vêtements écologiques et veut réduire son empreinte carbone au maximum. De leurs matériaux, à leurs usines de production, en passant par le transport des vêtements, toutes les étapes sont détaillées et expliquées. Mais Picture Organic Clothes ne s’arrête pas là, dans un objectif de sobriété, ils offrent une réparabilité à vie à leurs clients pour toutes les pièces achetées dans leurs enseignes. Ils encouragent aussi à acheter des vêtements de seconde-main, invitent leur clients à privilégier l’upcycling7 et en dernier recours, ils préconisent le recyclage de leurs pièces. 

Image de Parker Burchfield sur Unsplash
Image de Parker Burchfield sur Unsplash

L’upcycling justement est un phénomène qui se développe de plus en plus dans l’industrie textile. Cette nouvelle tendance consiste à donner une seconde vie à des vêtements et des tissus qui sont prêts à être jetés. Plutôt que de s’en débarrasser, des créateurs utilisent ces matériaux usés pour créer de nouvelles pièces originales. On peut citer Marine Serre8, l’étoile montante de la Haute Couture mais également l’enseigne Les Récupérables9 qui propose des prix plus abordables. Évidemment, de par le processus de production complexe, la quantité réalisable et le prix, l’upcycling ne peut pas se développer à grande échelle pour le moment. Ce mouvement reste tout de même porteur d’espoir et pourrait prendre de l’ampleur dans les années à venir. 

Ce mouvement éco-responsable se répand dans toute l’industrie de la mode et des marques de fast-fashion adoptent aussi des pratiques plus vertes. Avec l’essor du vintage10, la marque nordique Kiabi11 a décidé de dédier une partie de son site internet à la vente de pièces de seconde-main. Ils proposent ainsi toutes sortes de marques de vêtements à des prix dérisoires. Cette initiative permet d’accorder plus de visibilité à des habits qui auraient probablement été jetés ou délaissés. Ils ont également mis en place des ateliers où ils apprennent à leur clients comment upcycler et customiser leurs vêtements. 

Coup marketing ou réel engagement écologique ?

Si certaines marques ont de vraies intentions écologiques et peuvent fournir des preuves, d’autres se vantent d’engagements responsables qui sont en réalité assez bancals. Entre greenwashing et réelle implication environnementale, il est parfois difficile de démêler le vrai du faux. 

H&M souhaite se montrer comme un exemple de la transition écologique dans le secteur de la fast-fashion, or leur site internet manque de transparence. Cette chaîne a effectivement développé le projet « Carbon Looper » mais aussi les lignes « Conscious » qui sont plus durables ainsi que les collectes de vêtements en échange de bons d’achats. Elle a même créé le concept « Take Care »12 à Paris, qui propose aux clients des ateliers de couture et de broderie pour prolonger la durée de vie des vêtements. Or, malgré ces efforts remarquables de la part d’H&M, certains aspects restent flous. Par exemple, aucun label n’est mentionné sur leur site internet pour certifier que leurs tissus proviennent de l’agriculture durable. De plus, certains produits de leurs lignes« Conscious13 » ne fournissent pas de détails quant au processus de production de leur matériaux ; difficile de savoir si ceux-ci ont été fabriqués de façon responsable. Toutefois, cette marque de fast-fashion reste l’une des plus transparentes de sa catégorie et met en place de nombreux projets pour atteindre ses objectifs. La volonté que le groupe affiche est déjà un premier pas vers une industrie de la mode plus soucieuse de son environnement.

Thabitha Whiting

ASOS, enseigne de vente en ligne très populaire, expose également des convictions qui peuvent prêter à confusion. Elle propose une ligne issue d’une production dite circulaire14, c’est-à-dire provenant de tissus recyclés et a créé huit principes qui lui sont propres. Or, pour faire partie de cette collection, chaque vêtement doit respecter seulement deux de ces critères. On peut alors s’interroger sur le réel bénéfice de cette démarche. Avec des collections qui sont pensées pour être changées rapidement, le modèle de la fast-fashion peut-il réellement devenir durable ? L’industrie du textile devra rapidement passer du greenwashing à l’action si elle veut diminuer son impact environnemental.

L’industrie de la mode : un fléau pour la planète 

Rappelons que les enjeux sont considérables puisque ce secteur fait partie des plus polluants au monde. Offrant toujours plus de vêtements pour des prix défiant toute concurrence, la fast-fashion a révolutionné l’univers de la mode en la rendant accessible à tous. Cependant, ce modèle de production encourage la surconsommation qui a des effets dévastateurs sur notre environnement. Au total, 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre est déversé dans l’air pour vendre 100 milliards de vêtements chaque année dans le monde, cela représente 2% des émissions carbone globales. Du côté hydraulique, 4% de l’eau potable mondiale est utilisé pour répondre à cette production de masse et 20% de la pollution des eaux est due à la teinture et au traitement des textiles15

Par ailleurs, l’industrie de la mode utilise un grand nombre de ressources non renouvelables pour fabriquer ses textiles. Le matériau le plus produit est le polyester qui est fait à partir de pétrole. Très chimique, il rejette des microfibres plastiques dans l’eau dès qu’il passe au lavage. La pollution qu’il cause équivaut à jeter chaque année dans la mer 50 milliards de tonnes de bouteilles en plastique et pourtant sa production ne fait qu’augmenter. 

Ajoutons à cela, la pollution liée au transport des matériaux qui viennent souvent de pays lointains dû à la délocalisation des activités. En effet, pour réduire ses coûts de production, l’industrie du textile produit souvent dans des pays à très bas salaire, où les conditions de travail sont déplorables. Après leur production, les méthodes de recyclage souvent inefficaces font que les vêtements continuent de polluer. Seulement 1% des matériaux utilisés dans la fabrication des vêtements sont recyclés pour en faire de nouveaux16. De plus, la décomposition de ces textiles crée elle aussi des gaz à effet de serre. Ainsi, le cycle complet de la création d’un vêtement pollue, entraînant des dégâts irréversibles sur notre environnement. 

Tous ces facteurs mettent en avant le retard important de l’industrie de la mode sur le plan écologique. Le 31 mai dernier, The Business of Fashion a publié un rapport expliquant que les 30 plus grandes industries de la mode ne pourraient probablement pas remplir les objectifs fixés par l’Accord de Paris sur le climat ni ceux de développement durable définis par les Nations Unis17. Une légère amélioration est observée par rapport aux rejets de gaz à effet de serre mais la gestion des déchets reste quant à elle catastrophique. La responsable du développement durable de Business of Fashion a constaté qu’ « Il y a quelques précurseurs qui progressent à petits pas, mais de manière générale, l’industrie est extrêmement sous-performante ». L’heure est donc à la prise de conscience et plusieurs missions18 apparaissent :

  • Afficher une traçabilité et une transparence nette
  • Déployer des méthodes d’analyse poussées de l’impact environnemental
  • Favoriser une production nationale en relocalisant
  • Investir dans la R&D pour encourager l’innovation
  • Rétablir une gouvernance de l’industrie textile pour éviter une pollution accrue 

Des objectifs qui paraissent simples sur le papier mais qu’il va falloir réussir à mettre en place pour permettre une transformation profonde de ce secteur. Sarah Kent, la rédactrice en chef de Business of Fashion, a très justement expliqué la complexité du problème « C’est un défi immense pour les dirigeants des entreprises de mode : comment satisfaire vos actionnaires et démontrer que vous pouvez continuer à stimuler la croissance financière sans continuer à produire plus, et donc extraire plus (ndlr : de matières premières) et donc produire plus de déchets ? ». Avec l’engouement croissant pour les vêtements vintage et l’upcycling, les grandes enseignes de fast-fashion n’auront pourtant pas le choix de s’adapter aux nouveaux modes de consommation pour pouvoir faire face à la crise économique qui touche leur secteur19

La Haute-couture doit donner le bon exemple 

Symbole du monde de la mode, la Fashion Week est un événement très prisé qui réunit chaque année des milliers de personnes à travers le monde. Mais avec les transports, les décors, les logements, la consommation d’énergie mais aussi les déchets produits, l’empreinte carbone est là-aussi élevée 20. Heureusement, les marques de luxe s’engagent de plus en plus dans l’élaboration d’évènements plus responsables ; en supprimant l’utilisation du plastique ou en limitant les transports polluants par exemple. Ces mesures restent tout de même souvent insuffisantes et certaines maisons investissent alors dans des projets de compensation carbone pour limiter leur impact. Malgré cette évolution des mœurs, le Carbon Trust estime que les Fashion Week produisent 241 000 tonnes de CO2 chaque année. Ce nombre équivaut à éclairer Times Square pendant 58 ans21. Il est important que l’industrie de la mode enclenche une réelle transition écologique notamment en améliorant sa logistique et en acceptant d’être plus transparente sur ses activités. Le luxe ne représente qu’une faible part du marché textile, mais son pouvoir repose sur sa notoriété22. En effet, la Haute Couture définit les tendances et les pratiques à suivre, il est donc primordial qu’elle réveille les consciences. L’enjeu est de s’imposer comme le leader d’une révolution « green », pour que la mode devienne un secteur éco-responsable. 

Sources :

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