La première usine de captation de CO2 dans l’air lancée en Islande
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La première usine de captation de CO2 dans l’air lancée en Islande

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Née de la collaboration entre la startup suisse Climeworks et le projet islandais de séquestration de carbone Carbfix, la plus grande centrale de captation de carbone a été mise en service le 8 septembre dernier à côté de Reykjavik. L’usine Orca pourrait aspirer 4000 tonnes de CO2 dans l’atmosphère par an, qui seront ensuite stockés en souterrain. Un objectif annuel qui ne représente qu’une partie infinitésimale des émissions de carbone mondiales.

« L’utilisation de la technologie de pointe de Climeworks est l’un des moyens les plus efficaces pour arrêter le changement climatique.  », peut-on lire sur le site de l’entreprise zurichoise, qui annonce sans ambages posséder l’une des clefs qui sauvera la planète de la crise climatique. Cette affirmation est-elle présomptueuse ou au contraire doit-elle être prise comme un défi ambitieux que se lance Climeworks ? Pour l’instant, il faut mettre au crédit de l’entreprise sa volonté de travailler sur une solution technologique qui s’inscrit dans les recommandations du GIEC. En effet, le « Carbon Capture and Storage » (CCS) est l’une des pistes que propose le groupe d’experts intergouvernemental pour éliminer l’excès de dioxyde de carbone dans notre atmosphère. La solution de Climeworks fait partie des technologies dites d’émission négative, autrement appelées NET. Bien que la recherche soit récente sur ce type de technologies, les décisionnaires politiques semblent favorables à les inclure dans leur plan de bataille visant à rester sous la barre des 1,5° d’augmentation des températures globales.

Comment fonctionne la technologie Climeworks ?

Les centrales de captation de CO2 ne sont pas nouvelles, elles existent déjà pour aspirer le carbone des fumées dégagées par les usines fortement émettrices. L’originalité de la solution imaginée par Climeworks réside dans sa capacité à aspirer le gaz carbonique directement dans l’air. En utilisant des ventilateurs, l’usine absorbe de l’air qui poursuit sa route dans un collecteur contenant une sorte de filtre qui va retenir le CO2. Lorsque ce filtre est plein, le collecteur est verrouillé, on fait monter la température et le CO2 est libéré par la chaleur. C’est à partir de cette étape que la technologie de Carbfix prend le relais : le CO2 collecté est mélangé avec de l’eau pour être ensuite enterré à plus de 1000 mètres de profondeur et emprisonné dans de la roche basaltique. Selon Carbfix, il faudra environ 2 ans pour que le CO2 et l’eau mélangés se minéralisent totalement. Il s’agit d’accélérer un processus naturel, la minéralisation, qui prend en réalité des milliers d’années.1 L’usine fonctionne grâce un autre partenariat avec On power, un fournisseur islandais d’énergie géothermique, propre et renouvelable. L’objectif de Climeworks est ensuite de vendre des crédits carbone aux entreprises qui souhaitent compenser leurs émissions de CO2. Microsoft fait partie des grandes entreprises qui ont misé sur la technologie de la startup suisse.

Une technologie qui ne fait pas l’unanimité

Pour l’instant, l’annonce de 4000 tonnes de CO2 aspirés par la centrale islandaise fait figure de symbole. Même si elles font de cette installation, « la plus grande usine de capture directe d’air et de stockage de CO₂ au monde »2, cette performance paraît moins impressionnante lorsqu’on la compare aux 43 milliards de tonnes de CO2 émises à l’échelle mondiale en 2019.  L’Agence américaine de protection de l’environnement a calculé que la centrale capte sur une année l’équivalent des émissions de 870 voitures.3 De son côté, Jean-Marc Jancovici, expert du climat et de l’énergie, président du think thank The Shift Project, a fait un autre calcul qui donne le vertige : « Il faudrait donc 15 millions d’usines comme celle décrite pour pomper l’équivalent de nos émissions. » Il est évident que cette solution ne peut être la seule piste à envisager pour freiner les changements du climat, mais pour Jean-Marc Jancovici, elle est même tout à fait inutile : « […] le CO2 atmosphérique est une molécule chimiquement inerte diluée à 0,04% dans l’air […], explique t-il sur son compte LinkedIn, la seule manière de capter du CO2 qui soit énergétiquement “rentable” est de le faire à la sortie des centrales électriques et grosses usines (cimenteries), et même là, alors que le CO2 est très concentré dans la fumée, il faut utiliser pour cela de 15 à 30% de l’énergie de l’usine concernée. Donc une fois que ce CO2 est diluée à 0,04% au-dessus de nos têtes, le rendement doit être bien pire, et possiblement “négatif”. »4 . Lors d’une interview accordée au journal Les Echos, Daniel Egger, directeur commercial et marketing de Climeworks, a signalé qu’un bilan carbone avait été réalisé sur les installations d’Orca et que ce “site capte et filtre dix fois plus de carbone dans l’air qu’il n’en émet au cours de son cycle de vie.” 5

Image par Marcin de Pixabay

Si certains dénoncent son inefficacité, d’autres soulèvent des problématiques d’ordre éthiques comme Hanna Schübel, doctorante à l’Université de Fribourg, qui écrit une thèse baptisée «Ethics in Governing Negative Emission Technologies». La spécialiste de l’éthique du climat ne rejette pas totalement la technologie développée par ses compatriotes suisses de Climeworks, pour elle, «il s’agit d’une piste intéressante » mais qui pose encore des problématiques, «notamment celui du stockage à long terme.» Est-ce que stocker du CO2 à grande échelle comporte un risque pour les prochaines générations ? L’autre questionnement soulevé par Hanna Schübel concerne les lieux d’implantations de ces installations : «pour éviter que les petits émetteurs ne trinquent pour les grands, renforçant encore la fracture Nord-Sud». La chercheuse rappelle aussi que ce type de technologies ne nous dispense pas de poursuivre les efforts pour réduire les émissions carbone, elles «ne doivent être envisagées que pour éliminer les émissions que nous ne pouvons pas éviter»

Même si sa solution est également qualifiée de très coûteuse et trop lente à développer (des dizaines d’années) pour avoir un réel impact sur le climat, Climeworks annonce toutefois que son usine Orca «  est un tremplin pour l’expansion de Climeworks sur la voie d’une capacité d’élimination de mégatonnes d’ici la deuxième partie de cette décennie, basée sur notre technologie de captation directe d’air de pointe et la plus évolutive. ». 6

Il est encore trop tôt aujourd’hui pour savoir si l’usine très médiatisée de Climeworks sera efficace où non. Elle a néanmoins le mérite de mettre la lumière sur la lutte contre le changement climatique et de la rendre tangible. Cette technologie ne résoudra pas à elle seule toutes les problématiques environnementales, les dirigeants de la startup en ont eux-mêmes tout à fait conscience. Toutefois l’ouverture de l’usine Orca en Islande est clairement une étape importante dans la mise en application concrète du domaine de recherche sur la captation de CO2. Elle démontre qu’un progrès rapide est possible dans ce secteur, laissant espérer que les capacités d’absorption de ce type d’usine vont augmenter significativement dans quelques années. L’initiative de l’entreprise suisse permet ainsi d’ouvrir le champs des possibles sur la recherche de technologies capables de compléter les efforts de réduction de nos émissions de GES à l’échéance 2050, et ainsi remplir les objectifs de neutralité carbone fixés par l’Accord de Paris.

Sources :

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