L’océan, puits efficace
La biologiste, océanographe et directrice de recherche au CNRS, Françoise Gaill, expliquait en 2015 au journal Le Monde “le rôle de l’océan dans la régulation du climat, et l’impact déterminant du réchauffement climatique sur l’écosystème marin”.
L’océan représente 70% de la surface de la planète. La masse bleue est le premier puits carbone du monde avec, d’un côté, la photosynthèse menée par les phytoplanctons en surface, de l’autre, la dissolution naturelle des gaz dans l’eau. Les phytoplanctons (ou plancton végétal : micro-organismes aquatiques) en surface organisent la photosynthèse des océans. À l’image du fonctionnement des arbres et des forêts, ils transforment le CO2 en dioxygène. Les océans, en leader des puits naturels de carbone, transforment aussi les gaz en sédiments grâce aux coraux ou autres micro-organismes.
Cette photosynthèse massive s’ajoute à l’absorption physique de l’eau. Le CO2 entre dans l’eau par dissolution, favorisé en eau froide. Le gaz est ensuite stocké pour des années et des années en profondeur, il “coule” au fur et à mesure. Françoise Gaill précise que “le CO2 est 50 fois plus présent dans l’océan que dans l’atmosphère”. Si l’océan stocke environ 7Gt de CO2 par an, il n’emmagasine pas le surplus que l’on produit chaque année. Bon élève de la captation certes, mais pas illimité. Il accumule déjà 30% des émissions humaines et commence à saturer.
Trop de GES dans l’atmosphère, c’est l’assurance d’un changement de métabolisme des océans trop rapide pour qu’il ait le temps de s’adapter. Deux dangers ont déjà fait leur apparition et sont des marqueurs pour étudier l’impact des mesures de compensation carbone : acidification et réchauffement de l’eau qui s’attaquent à la faune et la flore sous-marine. Deux problèmes qui se posent à cause de l’émission massive de CO2.
L’acidification de l’océan est due à la dissolution massive des GES à sa surface. Ce qui correspond à l’augmentation des émissions humaines. Par exemple, l’eau acide est plus présente près des côtes et dans l’hémisphère sud, notamment là où il y a des zones d’extraction de gaz et d’hydrocarbure. La présence massive de CO2 dans l’océan entraîne une diminution du pH (échelle scientifique de 0 – acide – à 14 – basique) des océans. L’eau, correspond à un pH 7 (milieu d’échelle) et les sodas, à 2,5. L’acidification des océans se joue à la virgule près : une micro-donnée dévastatrice à l’échelle planétaire pour l’environnement marin.
Les océans sont à l’origine de 90% de notre eau courante et de 50% de notre air. Entre évaporation et précipitations, ils fournissent plus d’eau que les fleuves ou lacs.
Une eau plus chaude absorbe moins de CO2
Le gaz qui n’est plus absorbé stagne dans l’atmosphère et réchauffe la planète. Un cercle vicieux qui fait s’accumuler le CO2 hors des puits. Le rapport du GIEC de 2019 prévoit que l’augmentation de 2°C des océans mettrait en danger les espèces marines mais aussi terrestres. Le GIEC tempère en notant que “les risques d’extinction seraient moindres dans un monde plus chaud de 1,5 °C”. Un demi-degré de moins qui appelle des pleines mesures de réduction des émissions de CO2.
Les recherches se multiplient !
Pourtant, le plus gros puits de gaz à effet de serre de la planète, l’océan, reste aride en matière de captation artificielle. Peu de solutions voient le jour et certaines méthodes sont encore à l’état embryonnaire. La meilleure issue resterait encore d’agir sur le terrestre pour aider l’eau à mieux capter.
Les océans stockent massivement nos émissions de GES avec leurs 70% de la surface terrestre. Certains souhaitent utiliser celle-ci pour installer des éoliennes offshores et ainsi utiliser ce puits de carbone océanique pour compenser les émissions humaines. Les vents côtiers sont d’une puissance folle. Les éoliennes ainsi disposées sur l’eau produisent presque deux fois plus de méga Watts qu’une autre implantée sur le territoire. L’intérêt du rendement est un atout pour installer massivement des éolienne, propre en carbone, sur les mers et océans. Mais à des fins de production, mieux vaut ne pas détruire l’océan. L’immersion de structures soutenant les éoliennes sont pourtant propices au développement de la faune et la flore sous-marine : une sorte de récif artificiel. Attention cependant aux dangers en surface de ces éoliennes pour les oiseaux migrateurs ou la navigation.
Hors crise de la Covid-19, le transport maritime émet plus de 2,5% des GES mondiaux.
Dense et Droplet plume
Le principe du “Dense plume” repose sur le fait que le CO2 dissous est plus dense que l’eau de mer, et donc, plonge vers les profondeurs océaniques. Chargée dans des bateaux, l’eau concentrée en CO2 sous forme liquide se dépose sur le fond de l’eau, comme un “lac”. Les répercussions de cette technique sur les écosystèmes des fonds marins sont inconnues et des études doivent encore être menées pour étudier ses impacts. De plus, selon la convention de Londres en vigueur depuis 1975, il est interdit d’immerger ou d’enfouir des déchets dans les océans (d’après l’article de Futura Planète).
Une autre technique, presque semblable, le “Droplet plume”, pourrait aussi être utilisée face aux émissions de GES. Le “Droplet (ou gouttelette) plume” se baserait sur le fait d’injecter un même CO2 mais gazeux cette fois (mélangé à de l’eau), qui créerait des gouttelettes vers 1 000 mètres de profondeur. Sous cette forme, le CO2 se disperserait plus facilement dans l’eau de mer. Cette technique serait moins impactante que celle du “Dense plume” si la dispersion se fait dans des zones de courants rapides. Le CO2 serait plus vite éparpillé et moins nocif pour l’écosystème sous-marin (d’après l’article de Futura Planète).
Nous faire tous respirer par les nouvelles technologies, la géo-ingénierie, c’est le pari audacieux d’une poignée de néo-ingénieurs. Certains veulent contrôler la météo, faire pleuvoir sur commande, et d’autres veulent asperger la stratosphère de particules anti-UV. Plus que de jouer aux apprentis sorciers, la géo-ingénierie, domaine controversé, est une volonté de régler le problème des émissions massives de gaz à effet de serre. Fertiliser, alcaliniser les océans sont quelques techniques en pourparlers.
Fertiliser l’océan pour développer la photosynthèse
Ajouter du fer dans l’océan pour capturer le CO2 et faire réagir (ou fertiliser) le phytoplancton qui n’a pas eu le temps de s’adapter à l’augmentation des GES dans l’atmosphère. Cette idée fait débat dans la communauté scientifique en matière de géo-ingénierie. Des études ont alors été menées à petite échelle pour prouver une réactivité et une augmentation de l’activité de photosynthèse. Paysage de rêve, les îles Galápagos ont fait l’objet d’une première expérience. 100 km2 et quelques tonnes de sulfate de fer ont été immergées pour stimuler et faire croître le phytoplancton. Ainsi, le CO2 en surface est effectivement tombé rapidement dans le puits artificiellement créé. Cependant, l’expérience n’a pas prouvé une activité notable dans la durée. Puis vint l’expérience KEOPS, développé par le CNRS et l’IPEV, pour mettre en pratique l’idée d’une fertilisation naturelle des océans. À bord du “Marion Dufresne”, au nom d’un célèbre explorateur, l’étude s’élance avec “plus de 50 scientifiques mêlant océanographie, physique, géochimie et biologie” (KEOPS2 – INSU/CNRS). L’expédition aura prouvé la fertilisation naturelle des océans, mais sans définir distinctement par quels processus ou par quelles sources.
Finalement, laisser la nature suivre son cours et augmenter artificiellement sa productivité biologique pourrait fonctionner à court terme, mais risquerait de créer des toxines néfastes aux couches inférieurs pour la flore ou la faune. Les experts du domaine agissent pour le moment à petite échelle avec précaution et expérimentent pour développer leurs connaissances avant d’agir trop vite et sans connaître les conséquences d’une activité à grande échelle.
90% des marchandises transitent par la mer
Selon la 3e étude de l’OMI sur les GES, les émissions dues au transport maritime pourraient, sans action de réduction, augmenter de 50 à 250 % d’ici à 2050 et compromettre ainsi les objectifs de l’accord de Paris. (Source. Commission Européenne)
“Mission Starfish” pour décarboner l’océan
Inspirée des missions Apollo américaines pour envoyer un homme sur la Lune, la mission Starfish tentera de protéger l’hydrosphère. Comme une étoile de mer (“starfish” en Anglais), 5 branches pour protéger les océans, les lacs, les fleuves jusqu’aux rivières. Régénérer, Décarboner, Améliorer la gouvernance, Dépolluer, Créer : cette ambition européenne tente de sauver l’océan d’ici 20 ans avec recherches et innovations. Avant de lancer la “Mission Starfish” pilotée par Pascal Lamy, la commission européenne a préparé une grande consultation. Parmi les sondés, 6 000 actifs et étudiants français. Le but : récolter des sources de préoccupation et des idées d’action pour créer des points d’attaque, avec en proue, la décarbonation des écosystèmes marins.
“L’Union européenne s’est fixé pour objectif d’apporter d’ici à 2030 des solutions à cinq grands défis stratégiques qui correspondent à cinq missions”, annonce la Commission Européenne avant sa grande consultation de décembre 2020. “Starfish” débutera bientôt dans ses missions de préservation de l’existant, de dépollution et de décarbonation de l’eau. Ainsi, cette mission s’inscrit dans l’objectif des 195 pays signataires des Accords de Paris de 2015 pour la réduction carbone ou encore, dans le Pacte vert pour l’Europe (faire de l’Europe le premier continent neutre en carbone). Reste maintenant à définir un suivi et à récolter les fonds pour réaliser au mieux cette mission. Compte à rebours lancé pour 2021.